Publié le 15 mars 2024

Briser la dépendance à l’auto solo au Québec ne passe pas par l’ajout de nouveaux gadgets, mais par l’élimination obsessionnelle des frictions qui rendent les alternatives impraticables au quotidien.

  • Les obstacles sont souvent physiques et saisonniers, comme des pistes cyclables mal déneigées ou des trottoirs en mauvais état qui créent des murs invisibles.
  • Les cadres réglementaires et économiques, du stationnement anarchique des trottinettes aux coûts réels d’une voiture, doivent être repensés pour favoriser les options durables.

Recommandation : Aborder la mobilité comme un écosystème unifié et fiable, où chaque mode de transport est interconnecté, accessible et performant 365 jours par an.

Au Québec, la voiture individuelle reste la reine incontestée de nos déplacements. Chaque jour, des milliers de citoyens s’engagent dans le ballet quotidien des bouchons, considérant l’auto solo comme une fatalité nécessaire. Face à ce constat, les réponses habituelles fusent : prendre le métro, utiliser le vélo, opter pour l’autopartage. Si ces alternatives sont valides, leur simple existence ne suffit plus à provoquer le changement d’échelle dont nos villes ont besoin. Le débat se concentre trop souvent sur l’opposition stérile entre modes de transport, oubliant l’essentiel.

Et si le véritable enjeu n’était pas de multiplier les options, mais de s’attaquer aux innombrables points de friction qui les rendent peu attrayantes, voire impraticables? Une piste cyclable non déneigée en janvier, une application de transport qui n’intègre pas le bus local, une simple marche de trottoir qui bloque le passage d’une poussette ou d’un fauteuil roulant… La dépendance à l’automobile n’est pas qu’une question de choix, mais souvent une réponse à un écosystème de mobilité fragmenté et peu fiable, surtout face à notre réalité hivernale.

Cet article propose une nouvelle perspective. Au lieu de lister les alternatives, nous allons explorer huit leviers stratégiques pour démanteler ces frictions. De l’investissement dans une mobilité quatre saisons à l’unification des services en passant par la conception d’infrastructures sécuritaires, nous verrons comment des actions ciblées peuvent transformer l’expérience usager et rendre les modes de transport durables non seulement possibles, mais préférables. C’est en construisant un réseau fluide, résilient et véritablement au service de tous que nous pourrons réinventer notre rapport à la ville.

Pour comprendre comment transformer ces défis en opportunités, cet article explore en détail huit chantiers prioritaires. Chaque section aborde un enjeu spécifique et propose des pistes de solution concrètes et éprouvées pour construire la mobilité de demain au Québec.

Pourquoi le déneigement des pistes cyclables est-il un investissement rentable pour la santé publique ?

Au Québec, l’hiver est souvent perçu comme l’ennemi naturel du vélo. Pourtant, cette perception est moins liée au froid qu’à l’une des plus grandes frictions de la mobilité active : des infrastructures cyclables impraticables dès la première neige. Considérer le déneigement des pistes cyclables comme une simple dépense est une erreur d’analyse. Il s’agit en réalité d’un investissement stratégique à la rentabilité sociale et économique largement positive. En garantissant une mobilité active toute l’année, on favorise l’activité physique, on réduit la pression sur le système de santé et on diminue les coûts sociétaux liés à l’automobile.

Le calcul est sans appel. Une étude de HEC Montréal chiffre le coût social annuel d’un automobiliste à 15 250 $, incluant les externalités comme la pollution, les accidents et la sédentarité. En comparaison, ce coût chute drastiquement pour un cycliste. Chaque kilomètre parcouru à vélo plutôt qu’en voiture génère un bénéfice net pour la collectivité. Offrir un réseau cyclable fiable et sécuritaire quatre saisons n’est donc pas un luxe, mais un levier puissant de santé publique et d’optimisation des finances publiques.

Étude de cas : L’investissement de Rosemont-La Petite-Patrie

L’arrondissement de Rosemont-La Petite-Patrie à Montréal a montré la voie. En 2021, il a augmenté de 68% son budget dédié au déneigement des pistes cyclables, faisant passer cette part de 16% à 26% du budget total de déneigement. Cet investissement a permis d’assurer l’entretien de plus de 50 km de voies, incluant le Réseau Express Vélo (REV), démontrant qu’une volonté politique claire peut transformer l’expérience du vélo d’hiver.

Le succès d’une telle initiative ne repose pas seulement sur le budget, mais sur une approche opérationnelle rigoureuse. Il ne s’agit pas de « passer la charrue », mais de mettre en place une méthode qui garantit un retour à l’asphalte rapide et durable pour maximiser l’utilisation et la sécurité des cyclistes, même par temps glacial.

Plan d’action : Les principes d’un déneigement cyclable efficace

  1. Priorisation stratégique : Déneiger les pistes cyclables structurantes en même temps que les artères principales et les trottoirs, et non après. La rapidité d’intervention est la clé de la confiance.
  2. Conception adaptée : Privilégier l’asphalte, qui absorbe mieux la chaleur solaire que le béton, facilitant ainsi la fonte naturelle et réduisant le besoin en abrasifs.
  3. Opérations optimisées : Multiplier les passages avec des équipements adaptés (plus petits et agiles) et utiliser des fondants ou abrasifs qui n’endommagent pas les vélos.
  4. Élimination des obstacles : Assurer que les pistes sont libres de tout mobilier urbain mal positionné (poteaux, bancs) qui ralentit et complexifie les opérations de déneigement.
  5. Coordination intégrée : Mettre fin à la compétition pour les ressources entre les équipes de déneigement des rues, des trottoirs et des pistes cyclables, en planifiant les opérations de manière globale.

En somme, un déneigement efficace transforme le vélo d’un loisir estival en une option de transport crédible toute l’année, générant des retombées positives bien au-delà du seul budget municipal.

Comment réglementer les trottinettes électriques sans encombrer les trottoirs ?

Les trottinettes électriques en libre-service incarnent le paradoxe de la micromobilité moderne : une solution agile et pratique pour les courts trajets, mais une source potentielle de chaos urbain si elle n’est pas encadrée. La principale friction n’est pas le véhicule lui-même, mais son stationnement. Des trottinettes abandonnées sur les trottoirs créent des obstacles dangereux, en particulier pour les personnes à mobilité réduite, les parents avec des poussettes et les personnes malvoyantes. La clé du succès n’est pas d’interdire, mais de réglementer intelligemment pour intégrer ce mode de transport de manière harmonieuse dans l’espace public.

L’expérience de Montréal en est un parfait exemple. L’échec du projet pilote de 2019 a été une leçon précieuse. Une analyse de l’abandon du projet avec Bird et Lime a révélé que seulement 20% des trottinettes étaient garées dans les zones désignées, créant un désordre généralisé. Cet échec n’a pas signé la mort de la trottinette, mais a souligné l’impératif d’un cadre réglementaire strict, notamment sur le stationnement, pour que le service bénéficie à la collectivité sans nuire à la sécurité et à l’accessibilité des trottoirs.

Zone de stationnement désignée pour trottinettes électriques avec marquage au sol dans une rue de Montréal

La solution passe par la création de zones de stationnement obligatoires et clairement identifiées, comme le montre l’illustration ci-dessus. Plutôt que de laisser le stationnement libre, les villes doivent imposer aux opérateurs et aux usagers de terminer leur trajet dans des espaces dédiés, souvent matérialisés par de la peinture au sol. Cette approche, combinée à une technologie de géolocalisation qui empêche de terminer la location en dehors de ces zones, transforme un problème chaotique en une solution ordonnée. Le Québec a d’ailleurs fait évoluer son cadre légal pour permettre une meilleure intégration.

L’évolution de la législation québécoise montre une volonté de trouver un équilibre entre innovation et ordre public, comme le détaille le tableau suivant.

Évolution de la réglementation des trottinettes au Québec
Année Statut légal Restrictions
Avant 2023 Interdites sur voie publique Projets pilotes limités seulement
2023-2026 Projet pilote provincial Max 25 km/h, 14 ans minimum, casque obligatoire
Zones autorisées Routes max 50 km/h et pistes cyclables Stationnement dans zones désignées seulement

En définitive, le succès des trottinettes électriques repose moins sur la technologie de l’engin que sur l’intelligence de son intégration dans l’aménagement urbain et la réglementation.

Communauto ou voiture personnelle : quel est le seuil de rentabilité pour un Montréalais ?

Pour de nombreux Montréalais, la possession d’une voiture personnelle est perçue comme un symbole de liberté, mais elle représente aussi un fardeau financier souvent sous-estimé. L’autopartage, avec Communauto en tête de file au Québec, se présente comme une alternative économique majeure. La question n’est plus « faut-il une voiture ? », mais plutôt « à partir de quel seuil de kilométrage la possession d’un véhicule devient-elle plus rentable que l’utilisation de services partagés ? ». La réponse dépend d’un calcul qui va bien au-delà du simple prix de l’essence.

Pour des déplacements ponctuels, l’avantage de l’autopartage est évident. Une analyse de La Presse de septembre 2024 montre qu’un trajet urbain type revient à environ 9,85$ avec Communauto, contre 22,55$ en taxi pour une distance similaire. Cependant, la véritable comparaison doit se faire avec les coûts totaux d’une voiture personnelle, qui incluent une multitude de frais fixes et cachés spécifiques au contexte québécois. Ces « frictions économiques » sont souvent ignorées dans le calcul mental des propriétaires.

L’équation de la rentabilité doit intégrer tous les coûts que l’autopartage mutualise et élimine pour l’utilisateur individuel. Ces dépenses, invisibles au quotidien, s’accumulent pour former un budget annuel considérable. Voici les principaux facteurs à prendre en compte pour un propriétaire de voiture au Québec :

  • Changement de pneus obligatoire : La loi québécoise impose l’installation de pneus d’hiver, ce qui implique un coût d’achat et de permutation deux fois par an.
  • Assurance automobile : Le Québec a des primes d’assurance parmi les plus élevées au Canada, un coût fixe majeur.
  • Stationnement résidentiel : La vignette de stationnement sur rue varie fortement d’un arrondissement à l’autre (entre 45$ et plus de 185$ par an), sans garantie de trouver une place.
  • Opérations de déneigement : La nécessité de déplacer son véhicule lors des opérations de chargement de la neige représente une contrainte de temps et un risque de contravention.
  • Entretien et essence : Avec Communauto, l’essence, l’assurance et l’entretien sont inclus dans le tarif de location, éliminant ces postes de dépenses et les mauvaises surprises.

Finalement, le seuil de rentabilité se situe souvent bien plus haut qu’on ne l’imagine. Pour un usage urbain et occasionnel, l’autopartage s’avère presque toujours la solution la plus rationnelle financièrement, libérant un budget conséquent tout en réduisant la pression sur l’espace public.

Le risque mortel des « virages à droite au feu rouge » mal aménagés

Dans le grand chantier de la mobilité urbaine, certaines des améliorations les plus impactantes ne sont pas les plus spectaculaires. Elles se nichent dans les détails de l’aménagement des rues. Le virage à droite au feu rouge, autorisé sur la majorité du territoire québécois à l’exception de l’île de Montréal, en est un exemple frappant. Conçu pour fluidifier le trafic automobile, ce micro-aménagement peut devenir une source de danger mortel pour les usagers les plus vulnérables, piétons et cyclistes, lorsque l’intersection n’est pas pensée pour leur sécurité.

Le problème réside dans le conflit de trajectoires et le manque de visibilité. Un automobiliste concentré sur le trafic venant de sa gauche pour s’insérer peut facilement oublier de vérifier son angle mort droit, où peut se trouver un piéton qui a le feu vert ou un cycliste qui continue tout droit. Cette friction de sécurité, où la priorité de la voiture empiète sur l’espace et le droit de passage du piéton ou du cycliste, crée des situations à haut risque. La solution ne réside pas forcément dans l’interdiction systématique, mais dans un réaménagement intelligent des intersections selon les principes de la « Vision Zéro ».

Intersection urbaine avec aménagement Vision Zéro protégeant piétons et cyclistes

L’approche « Vision Zéro » part du principe que l’erreur est humaine, mais que les accidents mortels ne sont pas une fatalité. L’infrastructure doit être conçue pour pardonner les erreurs et protéger les plus fragiles. Pour un virage à droite, cela peut se traduire par des avancées de trottoir qui réduisent la distance de traversée pour les piétons, des rayons de courbure plus serrés qui forcent les voitures à ralentir, et des feux de signalisation spécifiques pour les cyclistes et les piétons qui leur donnent une avance de quelques secondes sur les voitures. L’image ci-dessus illustre l’attention portée à la protection des personnes, un élément central de ces aménagements.

En fin de compte, sécuriser un virage à droite, c’est envoyer un message clair : dans nos villes, la vie d’un piéton ou d’un cycliste a plus de valeur que quelques secondes de fluidité automobile.

Quand fermer une rue aux voitures pour booster le chiffre d’affaires des commerçants ?

L’idée de piétonniser une artère commerciale ou d’y installer une piste cyclable protégée se heurte souvent à une crainte majeure des commerçants : la perte de clientèle venue en voiture. Cette perception, bien ancrée, est pourtant contredite par un nombre croissant d’exemples à travers le monde et ici même, au Québec. Loin de tuer le commerce, un réaménagement qui priorise les piétons et les cyclistes peut au contraire devenir un puissant levier de revitalisation économique. La clé est de comprendre que si les automobilistes dépensent parfois plus par visite, les piétons et cyclistes, eux, viennent plus souvent et développent un attachement plus fort à leur rue commerciale locale.

Une rue apaisée, où il fait bon flâner sans le bruit et le stress de la circulation, incite à la découverte et à l’achat d’impulsion. Les gens restent plus longtemps, consomment sur place et transforment une simple course en une expérience agréable. Cela se traduit directement dans les chiffres. L’exemple de la rue Saint-Denis à Montréal est emblématique : après l’aménagement du Réseau Express Vélo (REV), l’artère a connu une véritable renaissance. Selon les données de Projet Montréal, la rue a atteint un nombre record de commerces ouverts, démentant toutes les prédictions pessimistes.

La piétonnisation, qu’elle soit permanente ou saisonnière, transforme une simple rue de transit en une destination. Les familles peuvent s’y promener en toute sécurité, les terrasses peuvent s’étendre, et l’espace public redevient un lieu de vie et de socialisation. Ce changement d’ambiance attire une nouvelle clientèle et fidélise les résidents du quartier, qui privilégient les commerces accessibles à pied ou à vélo. La friction de « l’inaccessibilité en voiture » est largement compensée par le gain d’un environnement commercial de haute qualité, plus humain et convivial.

La décision de fermer une rue aux voitures n’est donc pas un pari risqué, mais une stratégie d’investissement dans l’attractivité et la résilience économique d’un quartier. Quand les gens remplacent les voitures, les affaires prospèrent.

Le risque de déployer des navettes autonomes dans la neige sans tests hivernaux rigoureux

La promesse des navettes autonomes est séduisante : un transport collectif flexible, efficace et disponible sur demande. Cependant, dans le contexte québécois, une friction majeure se dresse entre la promesse technologique et la réalité opérationnelle : l’hiver. Déployer ces véhicules sans une validation exhaustive de leur comportement dans des conditions de neige, de glace et de grand froid est non seulement risqué, mais voué à l’échec. La fiabilité, qui est la condition de base de l’adoption de tout transport en commun, est mise à rude épreuve par notre climat.

Les capteurs, qui sont les « yeux » de la navette (lidars, caméras, radars), peuvent être facilement aveuglés par une poudrerie dense, du grésil ou une simple couche de givre. De plus, le marquage au sol, essentiel à la localisation précise du véhicule, disparaît sous la neige, rendant la navigation extrêmement complexe. Le projet pilote de Candiac, l’un des premiers au Canada, a fourni des leçons cruciales à ce sujet.

Étude de cas : Les leçons hivernales de la navette de Candiac

La navette autonome déployée à Candiac, pionnière sur la voie publique au Canada, a dû interrompre son service passager pendant quatre mois durant l’hiver pour une phase de tests intensifs. Les défis identifiés étaient nombreux : les capteurs étaient perturbés par la neige et la poudrerie, la lecture des lignes de la chaussée était impossible sous une couche de neige, et le véhicule avait une limite de fonctionnement spécifiée à -10°C, une température fréquemment dépassée lors des hivers québécois.

Cette réalité du terrain est confirmée par les opérateurs eux-mêmes. Dans une entrevue, Marie Hélène Cloutier, alors vice-présidente chez Keolis Canada, soulignait les limites de la technologie face à notre climat :

La navette est capable de rouler jusqu’à une condition hivernale de -10°C. Vous comprenez que les hivers québécois sont plus rigoureux que ça. Il y aura des tests qui seront faits, notamment sur les capteurs, qui doivent réagir différemment s’il y a du verglas ou une accumulation de neige.

– Marie Hélène Cloutier, Vice-présidente chez Keolis Canada

Gros plan sur les capteurs d'une navette autonome couverts de neige et glace

L’image ci-dessus illustre parfaitement le défi : des capteurs recouverts de glace, rendus inutilisables. Avant de promettre une révolution, la technologie doit d’abord prouver sa résilience et sa fiabilité dans l’environnement où elle sera déployée.

L’innovation en mobilité ne doit pas ignorer les contraintes du réel. Pour le Québec, cela signifie que toute solution de transport, autonome ou non, doit d’abord et avant tout être une solution « quatre saisons ».

Pourquoi une simple marche de 5 cm est-elle un mur infranchissable pour 10% de vos usagers ?

Dans notre quête d’une mobilité fluide et moderne, nous nous concentrons souvent sur les grands projets et les innovations technologiques, en oubliant les frictions les plus élémentaires. Une simple marche de quelques centimètres entre le trottoir et la chaussée, un bateau-pavé mal déneigé ou un arrêt de bus inaccessible sont des détails pour certains, mais des murs infranchissables pour une part importante de la population. Pour les personnes en fauteuil roulant, les aînés avec une marchette, les parents avec une poussette ou même une personne avec une valise à roulettes, ces micro-obstacles dictent entièrement les trajets possibles et excluent de fait des pans entiers de la vie urbaine.

Le problème est aggravé par l’état général des infrastructures. Une évaluation de 2019-2020 révélait que 25% des trottoirs de Montréal sont en mauvais ou très mauvais état, créant un parcours semé d’embûches. L’hiver, cette situation devient critique. Une accumulation de neige non déblayée au coin d’une rue transforme une simple traversée en une expédition risquée. L’accessibilité universelle n’est pas une question de confort, mais un droit fondamental à la mobilité. Rendre nos villes accessibles, c’est augmenter l’autonomie de tous et favoriser une société plus inclusive.

Résoudre ce problème demande une attention méticuleuse et une approche systémique, particulièrement dans la gestion hivernale. Il ne suffit pas de déblayer les trottoirs ; il faut garantir la continuité du parcours. Cela signifie s’attaquer de front aux barrières qui apparaissent chaque hiver et qui brisent les chaînes de déplacement.

Checklist pour une mobilité hivernale sans barrières

  1. Cartographier les points noirs : Identifier et géolocaliser systématiquement tous les bateaux-pavés, les débarcadères de transport adapté et les intersections problématiques qui deviennent des pièges de neige.
  2. Prioriser les points de connexion : Le déneigement des arrêts de bus, des accès aux stations de métro et des abords des services essentiels (hôpitaux, épiceries) doit être aussi prioritaire que celui des grandes artères.
  3. Installer des solutions temporaires : Dans les zones où les accumulations sont inévitables, déployer des rampes d’accès temporaires et robustes pour maintenir la fluidité des passages piétons.
  4. Former les équipes sur le terrain : Sensibiliser et former les opérateurs de machinerie de déneigement aux enjeux de l’accessibilité universelle pour qu’ils évitent de créer des bancs de neige aux endroits critiques.
  5. Créer des corridors accessibles : Définir et entretenir des corridors piétons prioritaires qui garantissent un cheminement sécuritaire et continu pour les personnes à mobilité réduite, reliant les zones résidentielles aux services et transports.

En éliminant ces frictions physiques, nous ne faisons pas qu’améliorer la vie de 10% des usagers ; nous créons une ville plus confortable, plus sûre et plus accueillante pour tous.

À retenir

  • La rentabilité d’un mode de transport doit s’évaluer de manière systémique, en incluant les coûts sociaux (santé, pollution) et pas seulement le coût pour l’usager.
  • La fiabilité « quatre saisons » est la condition non négociable de l’adoption des alternatives à l’auto solo au Québec. Une solution qui ne fonctionne pas en hiver n’est pas une solution.
  • L’attention portée aux micro-aménagements (sécurité des intersections, accessibilité des trottoirs) a un impact macroscopique sur le sentiment de sécurité et l’usage des mobilités actives.

Mobilité servicielle (MaaS) : comment unifier tous les transports en une seule application ?

Après avoir exploré les multiples frictions qui entravent la mobilité durable, une conclusion s’impose : la solution ultime réside dans leur élimination par l’intégration. La Mobilité en tant que Service, ou MaaS (Mobility as a Service), est la vision qui répond à cet enjeu. Le concept est simple en apparence, mais révolutionnaire dans son exécution : unifier tous les services de transport – bus, métro, train de banlieue, vélo-partage (BIXI), autopartage (Communauto), taxis et VTC – au sein d’une seule et même application. L’objectif est de rendre l’utilisation combinée de ces services aussi simple, voire plus simple, que de prendre sa propre voiture.

Pour l’usager, le MaaS élimine la friction cognitive et transactionnelle. Fini le jonglage entre cinq applications différentes pour planifier et payer un trajet. L’application MaaS propose l’itinéraire optimal en combinant différents modes, affiche le coût total et permet de tout régler en une seule transaction. Un trajet pourrait commencer en BIXI, continuer en métro et se terminer avec une Communauto qui attend à la sortie. Cette fluidité transforme un ensemble de services concurrents en un écosystème de mobilité collaboratif et performant.

Cependant, la mise en place d’un véritable MaaS dans la région métropolitaine de Montréal représente un défi organisationnel et technique colossal. Il s’agit de faire collaborer des acteurs publics et privés aux cultures et aux systèmes technologiques très différents. L’intégration des données de réservation, de paiement et de disponibilité en temps réel, tout en respectant le cadre légal strict sur la protection des données personnelles (comme la Loi 25 au Québec), est une tâche complexe.

La réussite d’un tel projet dépend de la capacité à orchestrer la collaboration entre les différents piliers de la mobilité montréalaise.

Acteurs de la mobilité à intégrer dans le Grand Montréal
Type de transport Opérateurs Défis d’intégration
Transport collectif STM, exo, RTL, STL Cultures organisationnelles différentes
Mobilité partagée BIXI, Communauto Systèmes de réservation distincts
Transport privé Uber, taxis Protection des données, Loi 25

Pour concrétiser cette vision, il est essentiel de comprendre la complexité de l'écosystème à unifier et les étapes pour y parvenir.

Le MaaS n’est pas une simple application ; c’est le système d’exploitation de la ville de demain. Pour tout citoyen ou urbaniste engagé, l’étape suivante est de promouvoir et de soutenir les initiatives qui visent à construire ce futur intégré, en commençant par des projets pilotes locaux pour prouver sa valeur et accélérer sa mise en œuvre à grande échelle.

Rédigé par Valérie Gagnon, Urbaniste émérite (OUQ) et consultante en mobilité durable, spécialisée dans le transport collectif et la logistique du dernier kilomètre. Elle possède 15 ans d'expérience en planification urbaine et régionale.