Publié le 12 mars 2024

Pour absorber une croissance démographique rapide sans paralyser les villes, la solution n’est pas de multiplier les infrastructures, mais de synchroniser le développement urbain, les politiques scolaires et la logistique des livraisons avec la planification des transports.

  • Les modèles de trafic traditionnels sont obsolètes car le télétravail a déplacé la congestion plus qu’il ne l’a éliminée, créant de nouveaux flux complexes.
  • Des politiques apparemment sans lien, comme le zonage des écoles à programme particulier, peuvent générer un trafic parental massif qui anéantit les bénéfices des transports en commun.

Recommandation : Adoptez une vision d’arbitrage urbain où chaque décision d’aménagement est évaluée selon son impact direct sur les réseaux de mobilité, en priorisant l’anticipation (gel des corridors) et l’intégration (TOD, logistique).

Pour un planificateur municipal d’une ville de la Couronne Nord ou Sud de Montréal, le constat est quotidien : les terrains se développent à une vitesse fulgurante, les nouvelles familles affluent, et le réseau routier, conçu il y a dix ou vingt ans, suffoque déjà. Face à une projection de croissance démographique de 10% en seulement cinq ans, l’instinct premier pousse vers des solutions familières : élargir les artères, demander plus de dessertes d’autobus, espérer un projet de train de banlieue. Ces réflexes, bien que logiques, ne répondent plus à la complexité de la situation actuelle.

La mobilité post-pandémique a fragmenté les déplacements. Le télétravail a modifié les heures de pointe sans les faire disparaître, et la logistique du commerce en ligne a superposé un nouveau type de trafic, lourd et incessant, sur nos rues résidentielles. Continuer à planifier les transports en silo, séparément du développement résidentiel, du zonage commercial et même des cartes scolaires, est une garantie d’échec. C’est investir dans des solutions coûteuses qui seront saturées avant même leur inauguration.

Mais si la véritable clé n’était pas dans le béton et l’asphalte supplémentaires, mais dans une synchronisation territoriale audacieuse ? Cet article propose une approche visionnaire pour l’urbaniste québécois. Nous verrons que la gestion d’une croissance explosive repose sur des arbitrages invisibles mais puissants. Il s’agit de comprendre comment la forme d’un quartier influe sur la congestion, pourquoi une décision de zonage scolaire peut paralyser un secteur, et à quel moment il devient crucial de geler des terrains pour les « infrastructures fantômes » de demain. Ce guide explore les leviers stratégiques pour transformer une croissance subie en un développement maîtrisé et durable.

Pour naviguer à travers ces enjeux complexes, cet article est structuré pour vous fournir une analyse approfondie et des pistes d’action concrètes. Vous découvrirez comment les anciens modèles de prévision de trafic sont devenus obsolètes et comment des décisions d’urbanisme, de l’échelle du quartier à celle de la carte scolaire, ont un impact direct sur la fluidité de nos réseaux.

Pourquoi les modèles de trafic d’hier ne prédisent plus les bouchons de demain ?

L’un des plus grands défis pour les urbanistes aujourd’hui est le paradoxe de la congestion post-pandémique. Alors que le discours public célébrait la fin des bouchons grâce au télétravail, la réalité sur le terrain est tout autre. Les données montrent qu’au Canada, la transition a été massive : selon un rapport du ministère des Transports et de la Mobilité durable du Québec, plus de 32% des employés canadiens travaillaient majoritairement de la maison en 2021, un bond spectaculaire par rapport aux 4% de 2016. Pourtant, les grands axes sont toujours saturés, parfois même plus qu’avant.

Cette situation s’explique par un changement fondamental dans la nature des déplacements. Comme le souligne Pierre Barrieau, spécialiste de la planification des transports, malgré le télétravail, la congestion est maintenant plus élevée que prépandémie dans une ville comme Montréal. Les modèles traditionnels, basés sur des flux pendulaires prévisibles entre la banlieue et le centre-ville, sont devenus obsolètes. Le travail hybride a engendré des déplacements plus éclatés : des trajets inter-banlieues pour se rendre à un bureau satellite, des déplacements en milieu de journée pour des courses personnelles, ou une augmentation des voyages pour les loisirs et les services.

Ce phénomène crée une « fracture modale » : nos infrastructures, conçues pour un schéma de déplacement centralisé, sont inadaptées à cette nouvelle mobilité polycentrique. Le problème n’est plus seulement le volume de trafic aux heures de pointe, mais sa répartition imprévisible dans l’espace et dans le temps. Pour le planificateur, cela signifie que l’ajout d’une voie sur une autoroute ou l’augmentation de la fréquence d’un train vers le centre-ville ne suffit plus. Il faut désormais penser en termes de maillage et de connectivité entre les pôles secondaires, une tâche infiniment plus complexe qui remet en question des décennies de planification axée sur le modèle « hub-and-spoke ».

Comment concevoir un quartier autour d’une gare de train sans créer de chaos automobile ?

La réponse la plus structurante à la « fracture modale » et à la croissance étalée est le développement axé sur le transport en commun, ou TOD (Transit-Oriented Development). L’idée n’est pas simplement de construire une gare, mais de sculpter un écosystème urbain complet autour d’elle. Au Québec, l’ambition est claire : selon le Plan métropolitain d’aménagement et de développement, l’objectif est que 40% de la croissance prévue d’ici 2031, soit 120 000 nouveaux ménages dans la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM), soit orientée vers ces secteurs TOD. Pour un planificateur en banlieue, c’est une opportunité majeure de densifier intelligemment.

Cependant, le succès d’un TOD ne se décrète pas. Le piège classique est de voir la gare comme un simple point de départ pour les automobilistes, ce qui ne fait que déplacer la congestion et crée un gigantesque stationnement incitatif. La véritable vision d’un TOD est de rendre l’usage de la voiture optionnel, et non indispensable. Pour y parvenir, trois principes sont fondamentaux : la mixité des usages (commerces, bureaux, services de proximité au rez-de-chaussée), la densité résidentielle suffisante pour justifier les services, et une conception des rues qui priorise les piétons et les cyclistes.

Cela implique un arbitrage urbain délicat : accepter des bâtiments plus hauts près de la gare en échange d’espaces publics de qualité, et surtout, maîtriser le stationnement. Un TOD réussi limite drastiquement le stationnement en surface pour le remplacer par des solutions mutualisées ou souterraines, libérant ainsi de l’espace pour la vie de quartier. C’est un changement de paradigme qui demande une volonté politique forte pour résister à la pression en faveur de solutions centrées sur l’automobile.

Vue en plongée d'un quartier TOD québécois avec gare centrale, immeubles mixtes et espaces verts

Comme le suggère cette vision d’un quartier TOD, l’objectif est de créer un milieu de vie complet où la gare n’est pas une fin en soi, mais le cœur battant d’une communauté active et connectée. L’enjeu est de transformer un simple point de transit en une véritable destination, réduisant ainsi le besoin de se déplacer en voiture pour chaque activité quotidienne. C’est la seule façon de garantir que l’arrivée d’une gare soit un catalyseur de vitalité urbaine et non une nouvelle source de chaos automobile.

Maisons unifamiliales ou tours à condos : quel impact réel sur la congestion routière ?

Le débat entre l’étalement pavillonnaire et la densification verticale est au cœur de la planification urbaine au Québec. Pour une banlieue en croissance, la pression pour préserver le modèle de la maison unifamiliale est immense, car elle correspond à un idéal de vie fortement ancré. Pourtant, ce modèle a un coût direct et mesurable sur la congestion. Chaque nouvelle unité unifamiliale en périphérie génère un nombre de kilomètres parcourus en voiture significativement plus élevé qu’un logement dans un secteur dense et desservi par les transports collectifs.

La tendance de fond dans la CMM montre d’ailleurs un changement radical. La part des maisons individuelles dans les mises en chantier résidentielles est passée de plus de 70% au début des années 2000 à environ 15% en 2019. Cette transition n’est pas seulement subie en raison du coût du foncier ; elle est aussi une nécessité pour rendre les investissements en transport en commun viables. Un réseau d’autobus ou un train ne peut être efficace et rentable que s’il dessert un bassin de population suffisant dans un rayon de marche raisonnable.

L’enjeu n’est pas de diaboliser la maison unifamiliale, mais de reconnaître que sa prédominance exclusive est incompatible avec une gestion durable de la mobilité. La solution réside dans un arbitrage sur la forme urbaine, en proposant une diversité de typologies d’habitation (maisons de ville, plex, petits immeubles à condos) qui permettent une « densité douce ». Cette approche augmente le nombre de ménages par hectare sans nécessairement recourir à des tours de grande hauteur, préservant ainsi un caractère de quartier tout en créant la masse critique nécessaire au transport collectif.

Comme le résume bien Nicola Cardone, expert en aménagement, dans un article sur les TOD au Québec :

On valorise encore trop l’automobile et pas assez le transport en commun.

– Nicola Cardone, Article sur les TOD au Québec – Unpointcinq

Cette valorisation de l’automobile est directement inscrite dans les règlements de zonage qui favorisent les grands terrains et les larges rues. Pour inverser la tendance, le planificateur doit agir sur ces règlements, en autorisant une plus grande variété de formes bâties et en réduisant les exigences minimales de stationnement dans les zones bien desservies. C’est un travail de fond, moins spectaculaire que l’inauguration d’une nouvelle autoroute, mais bien plus structurant pour l’avenir.

L’erreur de zonage scolaire qui paralyse le trafic matinal de tout un secteur

L’un des angles morts les plus fréquents en planification des transports est l’impact de la carte scolaire. On peut concevoir le meilleur réseau de transport en commun, mais si les politiques éducatives créent des flux de déplacements motorisés massifs, tous ces efforts peuvent être vains. Le cas des écoles à programme particulier au Québec en est l’illustration parfaite. En attirant des élèves de tout le territoire d’une ville ou d’une région pour des concentrations sportives, artistiques ou internationales, ces écoles anéantissent le concept d’école de quartier accessible à pied ou à vélo.

Le résultat est un phénomène que tous les résidents des banlieues connaissent : le « trafic parental ». Chaque matin et chaque après-midi, des centaines de parents convergent en voiture vers un même point, créant une congestion localisée intense qui se propage à tout le secteur. Cette situation est l’antithèse d’une mobilité durable et illustre un échec de synchronisation territoriale. Les décisions du centre de services scolaire, prises en fonction de logiques pédagogiques, ont un impact direct et négatif sur les infrastructures de transport gérées par la municipalité, sans qu’il y ait nécessairement de concertation.

Pour un planificateur, l’enjeu est de sortir de son silo et d’engager un dialogue avec les autorités scolaires. Il s’agit de quantifier l’impact de ces choix et de proposer des solutions alternatives. L’objectif n’est pas d’éliminer les programmes particuliers, mais d’en atténuer les externalités négatives sur la mobilité. Cela peut passer par une meilleure répartition de ces programmes sur le territoire, ou par la mise en place de solutions de transport dédiées et beaucoup plus efficaces que la démultiplication des trajets individuels en voiture.

Plan d’action pour un transport scolaire optimisé

  1. Analyser les flux : Cartographier les lieux de résidence des élèves des écoles à programme particulier pour identifier les principaux corridors de déplacement.
  2. Mutualiser les transports : Proposer au centre de services scolaire la mise en commun des circuits d’autobus scolaires pour desservir plusieurs écoles et réduire les redondances.
  3. Intégrer les réseaux : Étudier la possibilité d’utiliser les autobus scolaires, en dehors des heures de pointe, comme service de transport public pour les secteurs mal desservis.
  4. Optimiser la dépose : Aménager des zones de dépose-minute sécuritaires mais légèrement éloignées des écoles, avec des « pédibus » (marche en groupe encadré) ou « vélobus » pour le dernier segment.
  5. Apaiser les abords : Instaurer des « rues-écoles » fermées temporairement à la circulation automobile aux heures d’entrée et de sortie pour sécuriser les déplacements actifs.

Quand geler les terrains pour les futurs corridors de transport avant que les prix n’explosent ?

Planifier la mobilité pour une croissance de 10% en 5 ans exige une capacité d’anticipation redoutable. L’une des erreurs les plus coûteuses en urbanisme est d’attendre que la congestion soit insoutenable pour planifier de nouvelles infrastructures de transport. À ce stade, les terrains nécessaires au passage d’un tramway, d’un service rapide par bus (SRB) ou même d’une piste cyclable majeure sont soit déjà construits, soit leur valeur a explosé, rendant les acquisitions foncières prohibitives.

Le projet de tramway de Québec en est un exemple frappant. Avec un coût désormais évalué à 7,6 milliards de dollars, une part considérable du budget est allouée aux acquisitions et expropriations. Le projet nécessite plus de 400 acquisitions foncières, un processus long, complexe et souvent conflictuel, qui aurait pu être grandement simplifié si les corridors avaient été protégés des décennies plus tôt. C’est là qu’intervient le concept d’infrastructures fantômes : des emprises réservées pour des besoins futurs.

Pour un planificateur dans une banlieue en pleine effervescence, le moment d’agir est maintenant. Il est crucial d’identifier, sur la base des projections de croissance et des schémas de développement, les corridors potentiels pour les futures lignes de transport structurant. L’étape suivante consiste à utiliser les outils d’urbanisme disponibles pour « geler » ces terrains. Cela peut se faire par le biais d’une réserve foncière, d’un règlement de zonage qui empêche la construction dans l’emprise visée, ou d’un droit de préemption qui donne à la municipalité la priorité pour acheter les terrains lorsqu’ils sont mis en vente.

Cette stratégie de préservation proactive des corridors est un acte de gouvernance visionnaire. Elle est souvent politiquement difficile à court terme, car elle contraint le développement et peut frustrer les propriétaires. Cependant, à long terme, elle permet d’économiser des centaines de millions de dollars et des années de délais. C’est l’arbitrage ultime entre les gains immédiats du développement immobilier et la viabilité à long terme de la mobilité collective. Sans cette anticipation, la collectivité se condamne à payer le prix fort pour corriger des erreurs de planification qui auraient pu être évitées.

Quand redessiner le réseau de bus pour s’adapter aux nouveaux pôles de télétravail ?

Le télétravail n’a pas seulement modifié les heures de pointe, il a aussi redessiné la carte des déplacements professionnels. Dans un modèle traditionnel, les réseaux d’autobus étaient conçus comme des affluents convergeant vers un point central (le centre-ville ou un grand parc industriel). Or, avec la montée du travail hybride et l’émergence d’espaces de cotravail en banlieue, les flux sont devenus beaucoup plus distribués. Un résident de Mascouche peut désormais travailler deux jours par semaine à partir d’un bureau satellite à Laval, et non plus systématiquement au centre-ville de Montréal.

Cette nouvelle géographie du travail rend obsolètes de nombreux circuits d’autobus. Maintenir des lignes express coûteuses vers le centre si leur achalandage a chuté structurellement n’est plus pertinent. L’enjeu pour les sociétés de transport et les planificateurs municipaux est de faire preuve d’agilité et de redessiner les réseaux pour qu’ils reflètent ces nouvelles habitudes. Cela signifie passer d’un modèle en étoile (hub-and-spoke) à un modèle en grille (grid), qui favorise les connexions transversales entre les différentes banlieues et les pôles d’emploi secondaires.

Terminal d'autobus moderne avec connexions multidirectionnelles vers différents pôles d'emploi

Un tel changement implique une analyse fine des nouvelles données de mobilité. Il ne s’agit plus seulement de compter les passages, mais de comprendre les origines et les destinations réelles des usagers. Des solutions plus flexibles, comme le transport à la demande dans les zones moins denses, peuvent également compléter le réseau régulier pour assurer une desserte de « dernier kilomètre » efficace. L’objectif est de créer un réseau qui ne soit pas seulement utile pour le navetteur traditionnel, mais qui puisse aussi servir pour un rendez-vous professionnel, une course ou une activité de loisir, le tout sans voiture.

Redessiner un réseau de bus est une décision complexe qui doit s’appuyer sur des données probantes et une vision claire de l’évolution du territoire. C’est un processus continu d’ajustement qui doit remplacer la planification rigide et décennale du passé. La performance du transport collectif de demain dépendra de sa capacité à s’adapter en temps réel à la chorégraphie changeante de la vie suburbaine.

Pourquoi les vannes de livraison endommagent-elles vos rues résidentielles plus vite que prévu ?

La croissance démographique s’accompagne d’une autre explosion, plus silencieuse mais tout aussi dommageable pour les infrastructures : celle du commerce en ligne. Chaque nouvelle résidence est une nouvelle destination pour des dizaines de livraisons hebdomadaires. Or, les rues des quartiers résidentiels, conçues pour le passage de voitures personnelles, subissent une pression pour laquelle elles n’ont pas été dimensionnées. L’impact d’un véhicule sur la chaussée n’est pas linéaire, il augmente de façon exponentielle avec le poids par essieu. Une camionnette de livraison a un impact beaucoup plus important qu’une voiture, et un petit camion encore plus.

Cette « choréographie logistique » du dernier kilomètre, si elle n’est pas planifiée, a des conséquences financières directes pour la municipalité. Elle accélère la dégradation de la voirie, augmentant la fréquence et le coût des réparations. Ignorer ce trafic de « service » dans les modèles de planification est une erreur coûteuse. Le défi est de gérer ce flux sans nuire à la qualité de vie des résidents ni pénaliser l’activité économique.

Le tableau suivant illustre de manière saisissante la disproportion de l’impact des véhicules de livraison par rapport à une voiture personnelle, soulignant l’urgence de planifier cette nouvelle forme de trafic.

Impact comparatif des véhicules sur la voirie
Type de véhicule Poids moyen Fréquence de passage Impact sur la chaussée
Voiture personnelle 1,5 tonne 2-4 passages/jour Impact de base (1x)
Camionnette de livraison 3,5 tonnes 10-20 passages/jour Impact 8x plus élevé
Camion de livraison 8-12 tonnes 5-10 passages/jour Impact 20x plus élevé

Des solutions innovantes émergent pour rationaliser ce trafic. L’organisme Vivre en Ville, dans ses guides sur la mobilité durable, met de l’avant une idée clé : la consolidation des livraisons via des réseaux de casiers intelligents peut réduire drastiquement le nombre de kilomètres parcourus par les véhicules de livraison. En encourageant l’installation de ces points de chute dans des lieux stratégiques (près des gares, dans les commerces de proximité), le planificateur peut transformer des dizaines de trajets individuels en un seul. D’autres stratégies incluent la création de micro-centres de distribution en périphérie, utilisant des vélos-cargos pour le dernier segment, ou encore la mise en place de plages horaires dédiées pour les livraisons dans certains secteurs.

À retenir

  • La congestion post-pandémique a changé de nature : elle est plus diffuse et moins prévisible, rendant les modèles de trafic traditionnels inefficaces.
  • Le succès de la mobilité durable ne dépend pas seulement des infrastructures de transport, mais d’une synchronisation avec les politiques de logement, de zonage commercial et surtout de planification scolaire.
  • La planification visionnaire implique d’agir en amont : réserver les corridors pour les futures infrastructures de transport est infiniment moins coûteux que d’exproprier dans un marché immobilier saturé.

Comment réinventer la mobilité urbaine pour réduire la dépendance à l’auto solo ?

Absorber une croissance démographique de 10% en 5 ans sans sombrer dans la paralysie totale exige de dépasser la simple gestion de l’automobile. L’objectif ultime est de bâtir un écosystème où l’auto solo devient une option parmi d’autres, et non la seule solution viable. Cela passe par une réinvention complète de la mobilité, basée sur une intégration de toutes les stratégies que nous avons explorées. Les données le confirment : la densification est une tendance lourde, avec une croissance de 10,9% de 2016 à 2021 pour les populations des centres-villes canadiens, créant la masse critique nécessaire aux alternatives.

Le Réseau express métropolitain (REM) dans la région de Montréal est un exemple emblématique de cette nouvelle ère. Comme le note Harout Chitilian de CDPQ Infra, malgré les changements liés au travail hybride, on entrevoit également un développement très prononcé autour des futures stations du REM. Ce projet n’est pas juste une ligne de train ; c’est l’épine dorsale d’une nouvelle vision de l’aménagement, où des quartiers entiers se redessinent autour des stations, intégrant logement, emplois et services. C’est la matérialisation de la stratégie TOD à grande échelle.

Pour le planificateur d’une municipalité en croissance, la leçon est claire. Il ne s’agit pas d’attendre passivement un projet de l’envergure du REM. Il s’agit d’appliquer les mêmes principes à l’échelle locale : identifier les futurs corridors de transport, encourager la densité douce autour des pôles de service, synchroniser la carte scolaire avec les bassins de population, repenser les réseaux de bus pour les nouvelles réalités du travail et intégrer la logistique du dernier kilomètre dans le design des nouveaux quartiers. C’est un puzzle complexe où chaque pièce doit s’emboîter parfaitement.

L’avenir de la mobilité dans les banlieues québécoises ne se jouera pas sur le nombre de kilomètres d’asphalte ajoutés, mais sur l’intelligence et la cohérence de leur aménagement. Pour mettre en pratique ces stratégies et passer d’une planification réactive à une planification visionnaire, l’étape suivante consiste à intégrer systématiquement l’analyse d’impact sur la mobilité dans chaque décision d’urbanisme.

Rédigé par Valérie Gagnon, Urbaniste émérite (OUQ) et consultante en mobilité durable, spécialisée dans le transport collectif et la logistique du dernier kilomètre. Elle possède 15 ans d'expérience en planification urbaine et régionale.